PASCALE

 «  Que sait la jeune fille au balcon ? Que tout est interdit, dangereux, suspect…  Elle rêve d’amour, mais ne quittera pas son refuge. Dehors, c’est l’heure de tous les dangers, imaginaires ou réels.  »

Leïla Sebbar [1]

Pascale, c’est un nom écrit sur une enveloppe retrouvée parmi d’autres dans un tiroir, dans une caisse ou dans un coin de l‘atelier de Paul. Dans ces enveloppes s’y regroupaient de minuscules dessins réalisés sur des bouts de papier, de carton ou de calque, la plupart entourés d’un cadre au format d’une diapositive 36 x 36 mm.

Paul classait ainsi ses multiples croquis par thème ou par technique en les réunissant dans des enveloppes sous des titres très simples,  courts, et parfois très surprenants  : Tête, Cheval, Evelyne, Pascale, Bic bleu, Groupe, Groupe femelles, Corentin, Kim, Pipi (stock), Pipi (à finir),  Nain, Branlette, Crayonnés, Queue, Etudes papier, Brouillons, Proportions,  Dessins trop grands,.[2]
Mais une grande majorité de ces dessins de petit format se  trouvait entassée par centaine dans des boîtes sans dénomination.

Les 8 études se trouvant dans l’enveloppe titrée ‘Pascale’.

L’enveloppe ‘Pascale’ ne contenait que huit études montrant une jeune fille aux cheveux longs, ondulés, la ligne au milieu, se tenant debout au balcon d’une fenêtre et une seule pose assise, les jambes écartées.

En explorant l’ensemble de la collection, j’ai pu mettre la main sur d’autres dessins d’une jeune fille de même allure avec des détails et des similitudes qui m’ont fait penser qu’il s’agissait peut-être du même modèle évoluant sur le même lieu.

Le balcon fut l’élément clé au départ de ma recherche. On le retrouve dans deux dessins plus fouillés où les contours de l’arrière de l’église Saint-Boniface apparaissent en arrière plan. Il s’agit bien du balcon adossé à la fenêtre de l’atelier que Paul louait au deuxième étage du  numéro 16 de la rue Bouré à Ixelles. Paul y appréciait tout particulièrement la luminosité reflétée par les murs de l’église.

Sur ces deux vignettes, la fille porte un pantalon à large bord. Ce même pantalon réapparaît sur d’autres dessins montrant une  jeune femme en train de se déshabiller. Ensuite je suis tombé sur des croquis de jeunes filles assises dont l’une des poses était très proche du brouillon qui figure dans l’enveloppe.  Au delà de leur ressemblance par leur visage et leur chevelure, elles portent toutes un même bracelet. Autant d’éléments  pour confirmer l’identification d’un seul et même modèle. Alors, Pascale serait  elle  la muse qui a inspiré Paul pour toute une série de dessins ?

Paul Cuvelier dans son atelier de la rue Bouré à Ixelles, en 1975. (Photo de Daniel Baise)

Les vignettes les plus élaborées, colorées et encrées étaient pour la plupart mises sous cache par leur auteur dans le but d’être projetées et agrandies façon d’une diapositive. Il fallait évidemment que le support résiste à la chaleur du projecteur. Malheureusement, ce n’était pas le cas. Le bruit du ventilateur n’étant pas à la mesure de son efficacité, un accident survenait quelque fois.

Je me souviens d’avoir assisté en famille à l’une de ces projections. Il suffisait qu’on s’attarde un peu sur une image bien plaisante et bien pensante pour qu’apparaisse soudainement au milieu de l’écran une petite tache noire,  puis un cercle blanc grossissant  jusqu’à blanchir totalement la surface de l’écran et réduire l’œuvre à néant, ou plutôt en fumée.

Paul affectionnait ce genre de démonstration. Un rien provocateur, légèrement destructeur, cela l’amusait. Peu lui importait, il n’avait qu’à redessiner son sujet avec une petite variante dont il avait la secret.

Paul n’a laissé aucune indication sur la séquence des diapositives. Je les ai alignées à ma façon sans vraiment de direction, hésitant seulement à présenter la dernière vignette pour son approche particulière. Il y avait à l’époque quelques acheteurs pour cela, ce qui permettait à Paul de survivre et de comprendre pourquoi ce thème fut si souvent illustré. Et puis traité de façon si burlesque, mieux vaut en rire et reconnaître que le dessin reste de qualité.

Peut-être me suis-je trompé en collant Pascale à ces diverses études ? Pascale reste un mystère, je ne sais rien d’elle. Pourtant, aussi petits soient-ils, certains traits du visage sont si précis  qu’ils me rappellent le portrait d’une autre jeune fille que Paul a peint sur une toile. S’agit-il de la même personne ? Je vous laisse seuls  juge pour contredire ou confirmer mes rapides déductions et mes maigres soupçons, le tout avec grand plaisir.

Philippe CUVELIER

Cet article est la propriété de la Fondation Paul Cuvelier.

[1] Leïla Sebbar, écrivaine française née le 19 novembre 1941 en Algérie, est l’auteur du livre ‘La Jeune Fille au balcon” (2006).

[2] Informations tirées du recueil des “études à projeter” initialisé par Philippe Goddin.