EUROPE, ZEUS, et … PAUL
« Les Anciens savaient raconter, qui prêtent aux dieux toutes les passions de l’âme humaine. Nos contemporains savent raconter, qui prêtent à leurs personnages tous les troubles de leur âme. ».
Etienne Croegaert [1]
Et tous savent illustrer leurs histoires, parfois même crûment. Paul Cuvelier, ce grand maître du dessin, nous le prouve à suffisance … !
Le mythe antique d’Europe est bien connu.
Europe, princesse phénicienne, fille d’Agénor, roi de Tyr, cueille des fleurs avec ses suivantes près de la plage de Sidon. Zeus au déjà lourd passé de grand séducteur, l’aperçoit et s’emploie immédiatement à circonvenir la belle. Pour échapper à la surveillance de son épouse Héra, terriblement jalouse, le divin libertin juge plus prudent de se métamorphoser en taureau. Les jeunes filles voient ainsi s’approcher paisiblement un splendide taureau blanc, au front orné d’un disque d’argent et surmonté de cornes en croissant de lune.
Zeus se mêle doucement aux jeux des jeunes filles. Europe, attirée par l’odeur d’un crocus qu’il mâchonne, vient caresser le beau taureau blanc, tombe sous son charme et s’assied sur son dos. Aussitôt, Zeus se précipite vers la mer et emporte Europe jusqu’en Crête. Là, il s’unissent !
L’Enlèvement d’Europe a inspiré beaucoup d’artistes anciens, notamment les peintres de vases. On représentait la jeune princesse jouant sur la plage, approchée par le taureau, montée sur le dos de la magnifique bête, emportée par Zeus en pleine mer, recevant les hommages de Zeus, etc …
Les aventures d’Europe ont également inspiré bien des peintres talentueux, Véronèse et Le Titien pour n’en citer que deux.
La belle phénicienne, lascive ou vierge effarouchée, peu importe, devait obligatoirement attirer l’attention de Paul Cuvelier. Le taureau, symbole par excellence de la puissance virile, ne pouvait le laisser indifférent. Il va donc les réunir dans quelques œuvres allant d’un esthétisme assez classique à des dessins fort explicites où la peur de choquer ne l’arrêtera pas loin de là.
Commençons par cette première représentation fort pure, très harmonieuse, emplie de douceur et de force tout à la fois. La femme est entièrement contenue dans les frontières marquées par l’homme-taureau, dans l’espace de ses cornes que l’on peut très bien voir comme un croissant de lune.
Dans son album « Epoxy », Paul Cuvelier s’enfonce davantage sur des chemins plus sulfureux.
Epoxy se révèle très érotique, mais dans ses peintures, Paul Cuvelier osera encore aller plus loin. J’en veux pour preuve les dernières représentations où l’artiste montre sans détour la fougue du taureau et le plaisir qu’il procure. Ni l’une ni l’autre ne choque pour autant, me semble-t-il ?
Manifestement, Europe ne semble pas violentée, elle apparaît presque protégée. Même en affublant le taureau d’un rouge provocateur, Paul Cuvelier ne fait qu’accentuer finement le contraste entre la masse virile de l’animal, très impressionnante, et la féminité lascive de la princesse phénicienne. Le poids du taureau est supporté principalement par la colonne de marbre sur laquelle il appuie son front afin de ménager la jeune femme dont le sourire et l’attitude trahissent le plaisir.
Pour terminer, saluons donc l’audace tranquille de Paul Cuvelier qui ne se laisse arrêter ni par des conventions sociales, ni par des convenances morales. C’est dans cette liberté frénétique que l’auteur de Corentin nous touche le plus et qu’il force en quelque sorte notre admiration.
Etienne CROEGAERT [1]
Cet article est la propriété de la Fondation Paul Cuvelier.
[1] Etienne Croegaert, ancien professeur à l’EPHEC, guide 1815, passionné d’Histoire et grand voyageur, mais toujours fidèle à l’Europe comme en amitié.
[2] Extrait d’une lettre de Jacques-René RABIER, ancien directeur aux Commissions Européennes, fervent militant d’une certaine idée de l’Europe. En s’adressant à Stéphane Cuvelier (un frère de Paul) en juin 1998, Jacques-René Rabier s’inquiète du sort qui sera réservé à ce tableau qu’il affectionne tout particulièrement. Par ailleurs, on notera dans cette lettre la mention du nom de Karel Van Milleghem, le rédacteur en chef de Kuifje, l’édition flamande du journal Tintin, et qui fut également l’ami de Paul. Tous se sont intéressés au mythe d’Europe et de son ravissement en particulier.
Rabier approfondit davantage le sujet dans un ouvrage intitulé «Europe au quotidien : la renaissance d’un mythe». Voir lien avec l’article ‘Jupiter et Europe : l’amour bestial‘