PAUL ET LES DANSEUSES
« Le geste est l’agent direct du cœur ».
François Delsarte
Quel fut l’intérêt de Paul Cuvelier pour la danse ? Nous pouvons penser que pour lui, les danseuses n’étaient que des modèles parmi les autres, et qu’il n’était pas particulièrement sensible à la danse en tant qu’art. Il n’en parlait jamais, et n’y faisait pas allusion dans sa correspondance [1] . Par contre, il nous a laissé un grand nombre de dessins représentant des danseuses.
Au début des années 50, il abandonne la Bande Dessinée [2] et installe un atelier à Mons, pour se consacrer au dessin d’art, à la peinture et à la sculpture. Il renoue avec le sculpteur René Harvent, dont il avait fait la connaissance à l’Académie de Mons, une dizaine d’années auparavant. Les deux hommes ont de nombreux échanges, tant à propos de leur conception de l’art, que des techniques qu’ils utilisent. Ils se partagent également les modèles. Parmi ces modèles, quelques-unes étaient des danseuses. Les deux artistes sont à la recherche d’un idéal de beauté dont la représentation serait figurative, et donc en porte-à-faux avec leur époque. Ils ont donc dû considérer les danseuses comme une source d’inspiration évidente, car dotées de la beauté plastique et de la beauté du mouvement.
Nous vous présentons ici une série de dessins de Paul Cuvelier représentant des danseuses, que l’on peut dater principalement de cette période. Ces dessins relèvent de tentatives un peu disparates, et témoignent d’un artiste encore à la recherche de son style. On y retrouve, pêle-mêle, diverses influences : Degas – dont les danseuses inspirèrent une bonne part de l’œuvre – , Toulouse-Lautrec – le chantre des danseuses de cabaret -, voire Matisse – dont les représentations de la danse sont plus épurées-.
Parmi elles, on retrouve la danseuse classique qui posa pour la statue Athikté de René Harvent, actuellement visible au Théatre de Mons. C’est elle qui figure ici (en extrait). Selon certains témoignages, il semble que Cuvelier ait travaillé à même les sculptures de René Harvent, ce que ce dernier ne mentionne pas dans la monographie qui lui est consacrée [3] .
Dans Corentin, Cuvelier avait fait montre d’une extraordinaire maestria dans la représentation du mouvement [4] . Face aux danseuses, il nous montre celles-ci fréquemment au repos, ou dans des poses alanguies. Parfois, il les anime de grands mouvements. Généralement, il met l’accent sur le caractère érotique de la scène, allant jusqu’à les dessiner nues. Dans leur posture, les cuisses sont fréquemment ouvertes. On peut y voir l’amorce des représentations érotiques, qui seront dominantes dans la production ultérieure de l’artiste.
Denis CUVELIER
Cet article est la propriété de la Fondation Paul Cuvelier.
[1] Contrairement à la musique, dont il écrit, par exemple, dans une lettre à une amie : « La sublime, la sereine, la si belle musique de Bach, jette dans l’atelier son message de certitude de l’art ».
[2] Il reviendra à la Bande Dessinée à la fin des années cinquante, poussé par le besoin d’argent.
[3] “René Harvent” par Guy Donnay, Publication du Centre de Création Artistique de Mons, 1988.
[4] A propos du rendu du mouvement ‘en puissance’, je cite ici une définition due à mon professeur d’esthétique en secondaire, Henri Van Ackere : « Il faut distinguer entre mouvement actuel et mouvement en puissance. Toute représentation d’un être qui bouge indique un mouvement actuel. Lorsqu’un enfant dessine un oiseau qui vole, un homme qui marche, son dessin si malhabile soit-il, indique un mouvement actuel. Mais on n’accède à l’œuvre d’art que si l’on peut insuffler à ses créations, outre le mouvement actuel, le mouvement en puissance, c’est-à-dire la qualité d’un corps susceptible de se mouvoir. Un instantané photographique est parfois ridicule, précisément parce qu’il isole un instant particulier du mouvement d’ensemble et qu’il le fige. Un artiste au contraire donne du rythme même à un corps en repos. ».