LE 15 SEPTEMBRE 2019

Les Belles de Paul

–  Quel imbécile, quel crétin
–  Mais de qui parles-tu ?
–  Claude François. Je viens de lui montrer mes pin-up, il  était fou de rage

On est début 1975. Paul revient d’une entrevue à Paris avec Claude François. A l’image de Hugh Hefner et son Playboy, le chanteur a racheté au printemps 1974 la revue de charme ‘ABSOLU’. Il en assure la direction, la rédaction et signe même quelques photos. Son idée est d’introduire dans son magazine des nouvelles illustrations de pin-up à la manière d’un Aslan [1]. Apparemment celles de Cuvelier ne lui plaisent guère, pas assez léchées, pas assez sophistiquées. Il n’en veut pas, et refuse de les publier. Déçu, Paul fait part de sa déconvenue à son ami dessinateur Jacques Martin qui à son tour demande à voir ses dessins.

–  Formidable, sublime.  Paul, il y a un artiste et un marchand, ne cherche pas plus loin, c’est tout.

Ces propos, on peut les entendre de la bouche de Jacques Martin dans une vidéo intitulée ‘Paul Cuvelier, un artiste libre’ [2]
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En quoi les pin-up de Paul Cuvelier se distinguent des autres ?

Dérogent-elles aux stéréotypes qui caractérisent cette forme d’illustration de la femme ?

Communément, les modèles prennent des postures qui tirent légèrement à la caricature pour mettre en valeur leurs courbes et accentuer leur sensualité. Le plus souvent, elles ont la peau claire, les lèvres pulpeuses, des yeux de chat. Particulièrement plus sexy, elles vous regardent droit dans les yeux, conscientes de leurs charmes. Plus craquantes encore quand elles sont à la fois ingénues et maladroites. Là leur drôlerie séduit davantage que leur côté glamour et sophistiqué.

Est-ce pour autant une expression de l’art que Paul Cuvelier affectionne ?
Voici quelques éléments de réponse dans une petite note manuscrite découverte après son décès.Promotion artistique du thème Pin-Up.
C’est de la création,  invention de pure imagination, donc un plus grand pouvoir d’évocation.
Sens et intelligence du corps humain.
Science des attitudes,  plasticité et sentiment lié à la pose, au geste,  expression,  dynamisme du mouvement.
Sens de la composition, invention, audace et personnalité , de beaux équilibres.
Distinction et noblesse des personnages, traduisant une conception de haut niveau de l’être humain, sous le plan du sentiment et de la forme … 

Pin-up de Cuvelier parue dans la revue ‘PRIVE’ en 1975

 

Paul Cuvelier dans son atelier, rue Bouré à Ixelles, en 1975. (Photo de Daniel Baise)

Impossible de dater cette note, avant ou après Cloclo ! Toujours est-il que suite aux encouragements de son ami Jacques Martin, Paul ne baisse pas les bras et décroche finalement un contrat pour la revue ‘Privé’. Une pin-up ou une illustration de son choix à livrer chaque mois, comme le font Aslan et Vargas dans des magazines du même acabit ‘Lui’ et ‘Play-Boy’.

Seulement, l’expérience fut de courte durée. Au bout du sixième mois, un dessin trop audacieux proposé par Paul serait à l’origine de la rupture. Censures, contraintes et contrariétés, autant d’éléments suffisants pour mettre fin prématurément au contrat.

Pourtant l’aventure avait bien commencé, trois pages de la revue de mars 1975 lui sont consacrées sous le titre ‘Les belles de Cuvelier’. L’article est signé par Rolland Gaillac et paraît sous la forme d’une interview dont voici un petit extrait :

Lorsque vous exécutez le type de dessin que nous publions ce mois-ci dans ‘Privé’, vous ne vous sentez pas limité au niveau de l’expression ?

Ah pas du tout ! Par rapport à la bande dessinée, un dessin met en image sa propre pensée. Il concrétise des formes imaginaires. On peut raconter une histoire complète en un seul dessin, avec une seule personne, sans scénario. Dans la seule figuration d’un personnage en trompe-l’œil qui pourrait exister, on arrive à une condensation aussi riche en contenu d’expérience que dans toute une histoire entière. C’est une création absolue.

L’art, qu’est-ce que c’est ?

l’art est la nostalgie du paradis. Un artiste est donc au départ un névrosé,  un être à qui il manquera toujours quelque chose, car il n’arrive pas à se satisfaire de la vie de tous les jours. Il refait donc la vie à travers le prisme déformant de sa sensibilité.

Et le talent ?

Indépendamment des dons purement mécanistes, c’est une sensibilité particulièrement vive et pénétrante à toutes les formes de vie. Sans la sensibilité, un dessin même bien exécuté n’a pas d’âme.

On peut ne pas tout aimer dans l’œuvre de Paul Cuvelier, aussi diversifiée soit-elle. Malgré tout, Paul affirmait toujours que dans chaque image de ses albums BD, il y mettait “quelque chose” correspondant à une émotion artistique particulière. C’est aussi l’impression que me donnent les Belles de Paul en les regardant. Elles reflètent ce petit quelque chose du même état d’esprit, avec un brin de poésie.

Philippe CUVELIER

Cet article est la propriété de la Fondation Paul Cuvelier.

 

Pin-up signée ASLAN parue dans la revue LUI en 1977

[1] Aslan, ou Alain Aslan, de son vrai nom Alain Gourdon (1930 – 2014) est un peintre, illustrateur et sculpteur français. Il est surtout connu en France pour ses pin-up et pour le buste de Brigitte Bardot et de Mireille Mathieu en Marianne.

[2] L’interview de Jacques Martin a été enregistrée par Christophe Fumeux en juillet 2007.
Paul Cuvelier, un artiste libre.